samedi 1 décembre 2012

Littératures de la Caraïbe

Depuis bientôt trois ans, nous avançons sur plusieurs fronts : le théâtre, la rencontre poétique, le partage de lectures, et nous avons le sentiment que, si nous touchons un public d'habitués, nous avons du mal à élargir le champ de nos rencontres.

Nous avons consacré trois événements aux littératures de la Caraïbe. Ces rencontres nous ont permis de faire découvrir à un public qui ne savait rien d'eux, des auteurs tels que Paul-Keens Douglas, Paul Niger, Guy Tirolien, TiMalo, Gerty Dambury, Ina Césaire, Alain Rutil, Max Jeanne, Monchoachi pour ne citer que ceux-là.

Il nous en reste de nombreux à rencontrer tous ensemble. Frantz Succab, Daniel Maximin, certes plus connu, ou encore Olive Senior, Earl Lovelace, Jean Binta Breeze, Edwige Danticat et bien d'autres.

Pour cela, nous allons faire appel à vos contributions.

Certains participants aux Séna nous ont signalé, au cours des discussions passionnées qui se tiennent lors de ces rencontres, des conteurs, des auteurs, des musiciens, des artistes.

Pourquoi ne pas prolonger les rencontres physiques par des rencontres virtuelles, au cours desquelles des découvertes ou redécouvertes seraient possibles ?

La Fabrique Insomniaque peut être cet espace. La porte est ouverte.

Pour commencer, nous vous renvoyons à notre article sur l'ouvrage Histoire et civilisation de la Caraîbe, sous la direction de Jean-Pierre Sainton : Découvertes

mardi 9 octobre 2012

Le Sénat des conteurs

Le Séna des conteurs

Chose promise, chose due : le Séna des conteurs aura bien lieu le 06 octobre 2012 au Théâtre de l'Épée de Bois.

Suzy Ronel, Igo Drané, Papang, Serge Tamas et Magdalena Gorska seront les conteurs invités de cette troisième édition du Séna.

À leurs côtés, les "sénateurs" attitrés : Firmine Richard, Roselaine Bicep, Gladys Arnaud, Martine Maximin, Mariann Matthéus, Lully Dambury, Karine Pédurand, Christian Julien, Tadié Tuéné, TiMalo, Jalil Leclaire et Gerty Dambury.

Les conteurs nous feront entendre leur propre production de contes, ainsi que des textes traditionnels, recueillis par Ina Césaire, Alain Rutil ou Thérèse Georgel.

Et la musique roulera aussi, avec René Dambury aux percussions, Serge Tamas à la guitare et aux petites percussions et Igo Drané à la flûte et à l'accordéon !

Le public est toujours le bienvenu, libre de s'exprimer, dans le respect du temps des artistes et nous boirons toujours ensemble ! Yé krik ! Entrée libre !

http://www.epeedebois.com/ren.13.guadeloupe.html

mercredi 3 octobre 2012

Samedi 9 juin. Rendez-vous pris, rendez-vous honoré !

Le public a répondu à l'appel. Les 50 places attribuées dans le studio du Théâtre de l'Épée de Bois étaient toutes prises, et au-delà. Ajoutez à cela les 13 comédiens et musiciens présents et voilà... Packed up !, diraient les anglais...

Nous avons déjà des fidèles, ils connaissent la règle, s'installent, les comédiens sont leurs voisins immédiats, et certains lorgnent discrètement sur les documents... Qui sera le prochain poète ?
À ce propos, pour répondre aux sollicitations, nous ouvrons, sur ce site, une page Séna où l'on pourra retrouver une partie des textes dits samedi, ainsi que les titres des ouvrages à consulter pour les relire atètipo, à la maison. (Susciter)

Mais revenons au déroulement de l'après-midi.

Un chant d'appel est désormais institué...lancé par René Dambury aux percussions et Lully qui chante "Voyé Séna la monté"

Et sans plus attendre, le Générique de Western, le ciné poème de Max Jeanne, présente la Guadeloupe "dans une co-production franco-espagnole, avec La Guadeloupe dans le rôle de l'île...".
Il précède un texte d'Albert Béville alias Paul Niger sur la départementalisation et l'assimilation. Texte paru en 1962, dans la revue Esprit, quelques mois avant la disparition tragique de son auteur dans le crash de la caravelle Le Chateau Chantilly sur les hauteurs de Deshaies.

Souvenirs d'enfance à peine murmurés : une spectatrice évoque les cercueils alignés à la Mutualité de Pointe-à-Pitre et le défilé devant les corps. Nous discutons de la théorie de l'attentat, qui a longtemps prévalu : pourquoi cet avion précisément, dans lequel se trouvaient Albert Béville, Justin Catayée, Roger Tropos, trois opposants à la politique du gouvernement de l'époque dans nos pays ? Nous rappelons l'hommage d'Edouard Glissant à ces trois dirigeants du Front Antillo-Guyanais et de l'Association Générale des Etudiants Martiniquais, à la Mutualité à Paris en juillet 1962.

Je me souviens..., un texte qui nous a été généreusement envoyé par Wojé Valy-Plaisant, inscrit, dans la poésie, le souvenir de cette catastrophe, tant matérielle que politique.

Gaëtane Selgi, qui a conçu le jeu Blakistoua, nous présente, un peu émue, la carte qui, dans son jeu, interroge sur Béville. Une manière ludique de revisiter notre histoire.

Et puis, les poèmes se succèdent, à peine interrompus par quelques réactions d'un public qui, après coup, avouera avoir eu davantage envie d'en apprendre plus que de prendre la parole. Une atmosphère totalement différente de la précédente session du Séna...

Des rires, une fièvre des comédiens à dire, le désir de ne pas se laisser surprendre par le temps, mais rien à faire, il y a trop à dire, trop de paroles ignorées depuis trop longtemps, celle de Damas, celle de Rupaire, quelques mots de Tirolien.

Damas ? Ti Malo, qui nous a régalés de quelques uns de ses textes, nous avoue que le fait de lire Damas fut pour lui une révélation et une incitation à écrire : on pouvait être poète sans être prisonnier des formes fixes de Ronsard ou Du Bellay, le seul genre poétique qui lui avait été enseigné durant sa scolarité.

Intéressant d'évoquer le fait, que dans nos écoles, la forme fixe est encore trop souvent considérée comme le summum en poésie.

La parole de Damas, incisive, sautillante, bruissante de vie et d'humour, a trop peu été dite dans ce Séna. Ce n'est pas Christian Julien qui dira le contraire, lui qui n'a pu faire entendre tous les textes de ce poète guyanais qu'il avait préparés.

Faire parler les poètes de la Caraïbe, dans toutes les langues pratiquées sur ce continent, selon l'expression de Derek Walcott ou d'Edouard Kamau Brathwaite, c'était aussi notre défi.

Le même texte dit en anglais, en espagnol, en créole, en français, a résonné dans la salle. Surprenant : dans chaque langue, à la fin du poème, le public marquait son plaisir, comme si la poésie et peut-être bien le lieu où elle se disait, la manière dont elle se dévoilait, faisait tomber la barrière des langues. Peut-être pourrons-nous, un jour, pour rendre présents parmi nous, nos frères de langue arabe, libanais, syriens, ouvrir la porte à la poésie du palestinien Mahmoud Darwich, en arabe... À imaginer...

Il faudrait aussi dire le plaisir que nous avons eu à avoir, parmi nous Marie-Céline Lafontaine, ethno-musicienne et poétesse, dont les travaux sur le Gwo Ka, le Quadrille des grands-fonds de Sainte-Anne et la Biguine, sont d'une importance capitale. Roselaine Bicep nous a dit l'un des textes de Marie-Céline. Émotion...

Et puis, est venu le temps de partager un repas : riz et harengs saurs, riz et poulet fumé, gâteau au coco... Des souvenirs d'enfance se disent, se racontent autour d'un riz et hareng saur, plat trop souvent oublié... Les discussions se poursuivent... Et voilà, c'est fini ! Rendez-vous le 06 octobre, pour une rencontre avec le conte... L'entrée est toujours libre !

Les réservations sont ouvertes...

La Fabrique Insomniaque : 06 51 11 33 64
Théâtre de l'Épée de Bois : 01 48 08 39 74
ou par mail en écrivant à :
gertyH.dambury@gmail.com

Infos pratiques :
Théâtre de l'Épée de Bois - Cartoucherie
Route du Champ de Manoeuvre - 75012 Paris
Métro Château de Vincennes puis bus 112 - Arrêt Cartoucherie.

Lien vers le compte-rendu du Premier Séna : http://lafabriqueinsomniaque.blogspot.fr

Deux articles de Philippe Triay,  à consulter à propos du Séna :

http://www.la1ere.fr/infos/culture/le-sena-de-gerty-dambury_98541.html

http://www.francetv.fr/culturebox/le-sena-de-gerty-dambury-101295

 

 

 

 






émission La danse des mots du 8 juin 2012. Yvan Amar, RFI (Radio France Internationale

 

 

mercredi 16 mai 2012

Premier Séna réussi !

Merci... “Merci, pour cet après-midi si riche, si fort en émotions, merci à travers votre Histoire, d’avoir enrichi la mienne. Merci à ceux qui par leurs lectures, par leurs paroles, par leurs pudiques confessions, me permettent de me revisiter, m’offrent la possibilité de faire encore un pas sur le chemin. À très bientôt, chères belles personnes”.C.B. C’est par ces mots que l’un des participants au Sénat du 7 avril nous dit tout ce que ces trois heures de rencontre lui ont apporté. Un autre, guadeloupéen celui-ci, est venu dire à quel point il en avait appris sur son histoire, sur son pays, sur les gens et sur le monde, car les textes dits par les comédiens n’étaient pas uniquement consacrés à la Guadeloupe. Il fut question du Rwanda aussi, et de la manière dont certains journalistes peuvent jeter un regard folklorique sur les événements les plus déchirants de notre planète. 15 comédiens , chanteurs et musiciens , une cinquantaine de participants en tout et la parole a circulé durant trois heures, entre confidences sur des enfances - pas toujours roses dans un pays où la brutalité sociale dure depuis trop longtemps - et extraits de textes de théâtre. La particularité de la formule réside dans ce passage de la parole libre à la parole jouée, et cette légère interrogation sur les visages : est-ce un spectateur ou un comédien ? dit-il un texte ou s’exprime-t-il simplement sur le sujet en cours de discussion ? Mais le théâtre opère toujours sa magie et le silence s’installe, les bruits se calment, les voix des comédiens se posent sur le silence et l’univers du texte se déploie. Firmine Richard et Jalil Leclaire ont lancé l’après-midi avec un extrait de Lettres Indiennes après une invitation chantée par Lully et René Dambury : Sizé zanmi … Voyé Séna-la monté. Un très beau Kaladja. Et puis Tadié Tuéné et Martine Maximin dans Lui Hutu, elle Tutsie. Le public pousse un soupir de soulagement à la fin, un rire s’échappe après toute la tension que les deux comédiens ont su faire monter. Et Roselaine Bicep, nous transportant dans l’univers de la Guadeloupe de l’occupation, avec l’arrivée du Gouverneur Sorin. Bâton Maréchal. Français, créole, certains ne comprennent pas, mais quelle importance, le ton transmet l’émotion, les rires sont communicatifs. Astrid Bayiha, royale dans l’extrait de La Femme lapidée de Trames. Le silence qui dure après que la dernière note du texte a résonné… Comment sortir de cette incroyable émotion ? Et Christian Julien, à qui le rôle de Camille dans Camille et Justine va comme un gant : hâbleur, cajoleur, séducteur…et tendre. Le temps file, file à toute allure, aors il faut resserrer les lectures. Survols, joué par Jalil Leclaire et Gerty Dambury, Reflux, formidablement partagé entre Gladys Arnaud et Raphaelle Serreau.Du grand art ! Le temps file trop vite et le texte de Mylène Wagram Tant de petites faiblesses en pâtit un peu, je crois, précipité dans ses derniers mots. On sent que l’heure fatidique va nous surprendre alors, Ti Malo qui a, avec grâce, animé cet après-midi, glissé les phrases de transition entre la parole des spectateurs et les lectures – une tâche très difficile, mais qu’il fait avec une grande patience -, annonce qu’il va falloir suspendre les lectures, il restera quatre pièces qui n’auront pas été entendues. Les comédiens qui ont travaillé ces textes sont un peu déçus, mais chacun a eu l’occasion de participer à un autre extrait, à part Mariann Matthéus… Alors Mariann, superbe dans un extrait très poétique de Lettres Indiennes, arrache un “aaah”, de contentement au public… C’est cela le théâtre. C’est aussi cela dont nous rêvions : un public proche de nous, proche physiquement et émotionnellement, un publc qui juge, qui s’exprime, qui bouge, qui ne se sente pas enfermé dans un silence tellement respectueux qu’il parvient à tuer le désir d’être là… Un public qui parle ! Il fut question de la canne, de ce qu’elle représente dans la vie quotidienne du pays, de ce qu’elle occupa comme place dans la vie d’enfants privés d’école pour participer aux récoltes, une fille d’ouvrier de la canne s’est trouvée assise aux côtés d’une fille de géreur… Il fut question de musique, du temps ou le Gwo Ka était si mal vu, des batailles que menèrent certains musiciens pour imposer cette musique, de la rencontre entre le Jazz et le Gwo Ka, dès les années 70-80. Il fut question de la création des syndicats paysans dans les années 75, de grands mouvements de grève. Il fut question de joie aussi, d’amour de ce pays, en déclarations enflammées et émouvantes. Il fut, bien sûr question d’esclavage. Comment parler de la Guadeloupe, de la Martinique sans y faire référence ? Et à ce propos, les avis se sont affrontés sur la transmission. Faut-il transmettre et pourquoi ? Mais ne faut-il pas aussi que chacun se prenne par la main et recherche les informations qui lui manquent, dans les livres, les films etc… L’école joue-t-elle le rôle qui est le sien dans cette question ? Et puis, grâce au généreux et talentueux investissements des amis et membres de La Fabrique, vint le temps de manger (lanmori koupé dwèt et flan au coco...), de boire, et de se rencontrer encore plus librement. Encore un mot de “spectatrice” pour finir : “Toutes mes félicitations pour ce moment de partage que vous nous avez offert. J’espère et compte sur vous pour renouveler l’expérience. Pourquoi pas lors d’une soirée payante ? Je promets de ne pas intervenir la prochaine fois (shame -honte…). TiMalo m’a piégée, j’ai cru qu’il demandait la participation du public ! Moi qui suis d’ordinaire si réservée. Mais je ne regrette pas car nous avons eu un beau témoignage et surtout j'ai permis à notre compatriote de se libérer de quelque chose dont elle n'osait pas parler. Alors plus de shame.” Nous lui répondons que c’est précisément sa parole que nous attendions, sa participation. Une remarque plus acerbe en direction de ceux qui avaient réservé, nous obligeant à annoncer trop souvent que la salle était pleine… et qui ne sont pas venus. Certains se sont décommandés très tard, en fin de matinée et d’autres n’ont même pas pris la peine de le faire. 25 absents au total, dont les repas nous sont restés sur les bras… Merci ! Parler de la Guadeloupe, c’est aussi pointer cette légèreté qui fait que nos initiatives meurent souvent de leur belle mort par manque de respect pour elles. Merci à Jacques Cassard pour la sonorisation toute en nuances. Merci à l’ équipe du Théâtre de l’Epée de Bois qui a été très à l’écoute de nos besoins, Claire, Bastien. Merci à Antonio Diaz Florian qui nous a invités chez lui, prêté sa salle, accueilli avec beaucoup de gentillesse et de respect, et qui, présent à cette première aventure, séduit par la forme, nous garantit déjà la suivante… et d’autres peut-être. Le prochain Sénat, consacré à la poésie, aura lieu le 9 juin de 15h à 18h au Théâtre de l’Epée de Bois. Réservations auprès de La Fabrique Insomniaque au 06 51 11 33 64 ou par mail à gertyH.dambury@gmail.com Infos pratiques : Théâtre de l'Épée de Bois - Cartoucherie Route du Champ de Manoeuvre - 75012 Paris Métro Chateau de Vincennes puis bus 112 - Arrêt Cartoucherie.

lundi 9 avril 2012

Le Séna de Gerty Dambury le 7 avril 2012

La Gwadloup sé on poèm !



De la rencontre entre Antonio Diaz Florian, directeur du Théâtre de l’épee de bois, et Gerty Dambury, dramaturge guadeloupéenne, est née l’idée de rassembler le public autour de la culture guadeloupéenne, au travers du théâtre, de poèmes, de contes d'hier et d'aujourd'hui.

Première rencontre : Le Séna de Gerty Dambury le samedi 7 avril de 15h à 18h au Théâtre de l'Épée de Bois.

Ki moun ké voyé Séna-la alé ?

Ils seront quinze : comédiens, slammeur, chanteuses, percussionnistes.

Timalo Slam en Maître de Cérémonie
et
Gladys Arnaud, comédienne
Astrid Bayiha, comédienne
Roselaine Bicep, comédienne
Gerty Dambury, comédienne et auteur
René Dambury, percussionniste
Christian Julien, comédien
Jalil Leclaire, comédien
Leila Leclaire, chanteuse
Mariann Mathéus, comédienne et chanteuse
Martine Maximin, comédienne
Firmine Richard, comédienne
Raphaele Serreau, comédienne
Tadié Tuéné, comédien
Mylène Wagram, comédienne

Ils discuteront, ensemble, - comme au pays sous un arbre de la Place de la Victoire ou sur une plage du Gosier -, de l'actualité, des préoccupations quotidiennes. Ils parleront de cette Guadeloupe que nous tous cherchons à saisir, à comprendre (mais veut-elle se laisser saisir entièrement ?)

Ils la chercheront, cette Guadeloupe, dans les textes de Gerty Dambury (Reflux, Lettres Indiennes, Trames, Camille et Justine, Enfouissements, Survols, Bâton Maréchal, Confusion d'Instants, Jambé'y,Lui Hutu/Elle Tutsi, Les Atlantiques Amers

Les comédiens joueront, les tambouyé tambouilleront, les chanteurs chanteront et nous tous, nous mangerons, les assiettes originales préparées par Gerty.

Réservations auprès de La Fabrique Insomniaque au 06 51 11 33 64 ou par mail à gertyH.dambury@gmail.com (attention, limité à 50 places !)
Infos pratiques :
Théâtre de l'Épée de Bois - Cartoucherie
Route du Champ de Manoeuvre - 75012 Paris
Métro Chateau de Vincennes puis bus 112 - Arrêt Cartoucherie.


Entrée libre !!!
lien pour les informations complémentaires : http://www.epeedebois.com/ip.html

mardi 6 mars 2012

Une critique de la mise en scène de Jaz

Jaz de Koffi Kwahulé 
Mise en scène et interprétation de Gerty Dambury 

Une production de la Fabrique Insomniaque / La Noria 
Mairie de Paris,
Auditorium 
8 mars 2011 

Photographies : Emir Srkalovic 

Sonorisation : Jacques Cassard 

Technicien lumière : Jean-Pierre Nepost 

Costume : Claire Risterucci 

Chant : Lully Dambury
Cette pièce du dramaturge ivoirien a déjà fait l'objet d'une demi-douzaine de mises en scène dont l'avant-dernière circule actuellement en France après sa création à Montréal. On peut lire en ligne, dans le portail Francotheatres et la rubrique « Spectacles récents », le compte rendu d'Alvina Ruprecht, de la mise en scène de Kristian Frédric en 2010. Si celle-ci a pu paraître excessivement spectaculaire, alors la mise en scène dépouillée de Gerty Dambury constitue le parfait antidote.
L'auditorium de la Mairie de Paris n'est pas, techniquement, un théâtre de rêve, et les conditions de cette création, invitée pour marquer la Journée des droits des femmes, ont sans doute posé des limites à la scénographie. Il sera certainement intéressant de suivre la conception de ce spectacle pour lequel l'actrice ne disposait que d'environ deux mètres de profondeur de plateau devant un écran blanc comme rideau de fond. D'apparence pauvre et nue, cette interprétation est aux antipodes des lectures du genre appropriations / récupérations de textes qui abondent aujourd'hui.
A l'extrême, la scène sera totalement noire et un éclairage minimal y fera luire une main (la main du mendiant qui réclame sa pièce) ou le crâne blanc de l'actrice. Il n'y a aucun accessoire : une femme noire en long fourreau noir et courts cheveux de neige tient la scène. Le leitmotiv de son discours revient une dizaine de fois, à chaque fois énoncé différemment : dit en passant, confié, jeté là, hurlé, ressassé, vociféré : « Je ne suis pas ici pour parler de moi, mais de Jaz » ... C'est le discours explosé d'un sujet femme fragmentaire et l'on imagine aussi bien que quatre actrices aient pu s'en emparer comme le firent les Quatr'elles en 2008. L'argument de la pièce est le viol perpétré dans le piège d'une sanisette, en bas d'un immeuble aux conditions abjectes (depuis des jours les toilettes communes d'un étage supérieur débordent) par un homme « de 33 ans », et au visage de Christ mais armé d'un couteau de cuisine. C'est un maniaque qui croit même qu'il pourra renouveler son forfait tous les dimanches. L'écriture magistrale, mystérieusement pudique, de Kwahulé fait miroiter ce viol comme une grand-messe de la virilité démentielle, où l'homme oblige la fille à prononcer une formule rituelle sur la/sa mortifère « queue de scorpion » ...
Le jeu est sans faille, il dure une heure. Retenu au début, le ton de l'actrice est celui d'un témoin presque détaché de l'histoire. Une tension se noue lorsque la sonorisation intervient pour interrompre la femme, à diverses reprises mais c'est la même voix (unique, voilée, incomparable voix de Gerty Dambury) qui dit des bribes d'un autre discours : d'affaires, de comptabilité, d'arguties de syndic d'immeuble. La spectatrice doit donc s'ouvrir à l'évidence que cette femme « entend des voix » ou souffre d'hallucinations, à moins qu'elle ne soit celle-là même qu'elle nie être, Jaz. Le crescendo monte implacablement et l'actrice au jeu détaché, hiératique du début (souvenir du profil figé des bras, du corps parfait des femmes ou des dieux dans les fresques égyptiennes), le jeu va peu à peu s'animer pour faire entendre la voix intérieure de la victime, mais aussi bien celle du violeur-aboyeur qui ne peut s'assouvir qu'en insultant la jeune fille et mettant à quatre pattes la gent féminine toute entière. On pense à Baudelaire « Sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci ».
Le tiers supérieur gauche du fond de scène blanc fait écran pour la projection de photographies qui - comme la sonorisation et l'éclairage bien sûr - sont harmonisés avec le déroulement du drame. Cet élément de décor minimaliste et riche fait preuve de la même retenue que le jeu de l'actrice. Les images qui se succèdent sont souvent semi-abstraites, gros plans fragmentaires, silhouette masculine en dessin lumineux pour la scène du viol, ruban multicolore à bande centrale grise (pour présenter le motif de la couleur grise, absente de l'arc-en-ciel, du texte) et « morceaux » de femmes ; dos de femmes dans un bar, et surtout jambes de femmes vues par en dessous ou bien en contre-plongée, images mentales de voyeur banal à l'affût.
Les effets de sonorisation - troisième dimension de ce spectacle épuré - sont généralement discrets, rarement réalistes (goute à goutte rythmique de plomberie et de percussion de baguette), parfois harmonieux (orgues et cordes après le désastre, pizzicato de basse et xylophone de jazz pour évoquer l'amie perdue, Oridé, et son masque, ou encore chant de clôture avec Lully trop éloigné et trop bref), et bien entendu la sono se fera exceptionnellement stridente (sifflements suraigus) pour la scène du viol.
L'ensemble de ce travail est remarquablement mené pour servir un texte majeur dans la dénonciation virile des violences contre les femmes qu'a entreprise Koffi Kwahulé. Gageons pour Gerty Dambury que ce chevau-léger des mises en scène de Jaz , à la fois complexe et minimaliste, voyagera loin et longtemps. C'est la parfaite introduction à un très grand texte dramatique.

Christiane Makward 
Paris, 11 mars 2011.

Jaz ...
{Play record="5"}
© RFO