jeudi 5 février 2015

En route vers les Atlantiques...


Trames, une pièce de Gerty Dambury

Blog de Fabienne des Iles, lu sur Mediapart

Une griotte allumée – une Maman Legba qui aurait mal tourné – ouvre l’espace, lance ses incantations en langues, hoquète proverbes et malices : devant nous va se dérouler une histoire mêlée…
Une mère, son fils. Depuis longtemps, depuis toujours, ils se tiennent l’un devant l’autre, l’un en révolte, l’autre en résistance, relations en pelote, raçines emmêlées, fouillis des sentiments. S’aimant, envers et contre tout, violemment.
L’amour assoiffé, dévorant, de l’un affronte la tentative méthodique de l’autre de délimiter son espace de liberté.
Instruite par les histoires innombrables des femmes dont elle récolte patiemment les paroles, elle sait qu’il lui faut grappiller avec ferveur chaque pouce d’autonomie de geste, de pensée, de sentiment, dans cette société d’hommes.
Instruite par sa propre histoire avec le père de l’enfant, fruit d’amours utopiques avec une Afrique rêvée, la mère balise pour elle un possible avenir de femme libre, dans une œuvre apparemment sans fin : elle rassemble les éléments d’une future histoire des femmes, trompées, méprisées, battues mais vaillantes et debout. Dont une femme vient régulièrement illustrer les différents visages (blessures, illusions, attentes) en écho avec ses propres douleurs.
Et lui dans tout ça ? Eternel fils qui n’arrive pas à construire sa rectitude d’homme, lui erre par les rues et les mornes. Les mornes ? oui car nous sommes aux Antilles, en Guadeloupe et cette histoire sans doute possiblement déclinée en mille lieux différents sur cette terre – les relations conflictuelles et douloureuses entre une mère et son fils – revêt ici les couleurs, les inflexions, l’humour et l’imaginaire d’une île des Caraïbes, la Guadeloupe.
Il erre dans les rues de Pointe à Pitre, plus ou moins propulsé, selon les jours, tantôt par la drogue, tantôt par la rancœur, dort dans un local à poubelles, projette d’hypothétiques avenirs professionnels. Et n’en finit pas de ressasser un meurtrier instant de son jeune passé qui a infléchi son chemin vers les buissons épineux de son égarement.
Gerty Dambury a écrit une pièce comme on en voit peu : par son sujet – universel et si vrai de réalité antillaise, par sa scansion alternant armistice des sentiments et guerre sans merci, comme seul l’amour peut générer. Elle l’a produite avec la patience que demande l’absence des moyens financiers propre à ces projets dont l’indépendance et le sujet sied peu à la trame institutionnelle. Elle l’a mise en scène, choisissant finement plusieurs jeunes comédiens, avec une exigence et une rigueur qu’on aimerait rencontrer plus souvent sur un plateau de théâtre.
Autant de raisons pour guetter toute apparition de cette pièce, Trames, et de toutes les productions qui sortiront de la Fabrique Insomniaque, sa Compagnie. (Lien vers l'article : http://blogs.mediapart.fr/blog/fabienne-des-iles/070212/trames-une-piece-de-gerty-dambury)